samedi 24 janvier 2009

T'as voulu voir Venise...


Je crois que je vais faire une petite cérémonie païenne pour conjurer ma crainte d'écrire sur Venise. Quelque chose qui me permette d'évacuer d'un coup mes réticences à passer après 5 milliards d'écrivains, mémorialistes et journalistes. Sans parler de ces peintres que j'adore et qui se sont perdus dans les venelles avec leur aquarelle ou leurs fusains. Qui ont su capter le geste d'une femme qui ramène son châle en passant un pont, le clapotis de l'eau verte contre les coques asymétriques des gondoles, la mousse s'accrochant à la brique des quais, la moisissure qui s'étire vers les fenêtres... Que dire après Whistler et Sargent ? Qu'écrire après Henry James ? Je me suis fait envoyer un livre magnifique sur ce cercle d'artistes venus redécouvrir Venise après ce qu'en avaient dit Byron et Ruskin. Impossible d'égaler ce que leur inspira leur enthousiasme pour une cité sortie de l'onde pour résister aux Barbares, pour la folie que supposait l'invention d'un empire maritime au cœur flottant au gré des marées, pour sa splendeur passée et sa décrépitude si parfaitement romantique. Même les épidémies de peste et l'air chargé de miasmes de ce fond de lagune sont prétexte à des lignes sublimes, et moi j'arrive. Je commence par faire des kilomètres le long des fondamente, des rii et des campi en quête du Venise des Vénitiens, loin de S. Marco même si les pigeons ont déserté enfin les lieux (merci au maire !) et si janvier n'est pas exactement la haute saison. Le café Florian s'est retiré derrière ses rideaux et beaucoup d'hôtels sont fermés. Je respire l'air marin de la Giudecca qui balaie le quai de Santa Eufemia, minuscule église baroque, blanche et dorée comme un salon, précieuse comme un boudoir féminin, plantée au milieu de chantiers navals où s'activent les derniers ouvriers de la ville. Il parait qu'Elton John possède un palazzo près du couvent des Zitelle et que Mitterand y avait aussi une de ces caches secrètes comme il les aimait. Mitterand qui ne supportait pas que les Vénitiens ne le reconnaissent pas et enlevait sa casquette pour lire dans les yeux la crainte et le respect qu'il pensait mériter.
Je regarde donc une sorte de foire du Trône minable se monter sur la riva degli Schiavoni, là où se déchargeaient les navires venus de Chine, chargés de ballots de soie et de coffres d'épices. Une chenille géante en est aujourd'hui l'attraction principale mais je ne me sens pas l'arrogance d'écrire que Venise a perdu son âme comme certains confrères l'ont fait, ivres de la conviction d'avoir trouvé le truc pour sortir du lot des admirateurs béats. "Marre de Venise et de la polenta, de ses sempiternels palazzi suintant d'humidité où ne vivent plus que de vieilles comtesses rancies, dont les cheveux, trop grillés au soleil des altane les font ressembler à des sorcières de Goya...etc." Et alors ? Le choc reste intact devant ces voies d'eau, devant la vie amphibie des Vénitiens, comme le Lion de S. Marco, une patte sur la terre et l'autre dans la mer.

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