mercredi 13 mai 2009

Un peu de douceur


Ce qui est sans doute le plus étonnant à Moorea, et dans le reste de la Polynésie j'imagine, c'est la grâce infinie de ses habitants. Et leur gentillesse extrême. Arrivant d'un monde où la fraternité minimale semble en voie d'extinction, où l'agressivité gratuite remplace peu à peu la politesse, ces sourires sont un miracle. Il y a bien des explications à cette dureté nouvelle, en particulier le sentiment d'être menacé, la peur de l'avenir, l'impression d'injustice que sais-je ? Je suis agressive aussi malheureusement. C'est pourquoi le petit massage des épaules que m'a fait l'hôtesse de l'air comme ça, pour rien, parce que l'avion tardait à décoller (5 heures quand même !) a été une délicieuse surprise. Et ce n'était que le début : au cours de mon reportage, j'ai retrouvé bien des fois cette attention à l'autre qui est plus qu'une simple amabilité car je suis la journaliste qui... L'autre surprise est la beauté des Polynésien(ne)s. Oui, on voit des obèses, oui, ils se goinfrent de barres Mars et de chips, oui, il y a du diabète mais on croise aussi de véritables miracles de grâce et d'élégance. Des silhouettes souples, des visages pleins de douceur et un éclat rieur dans le regard. Si j'ajoute la fleur de tipanier derrière l'oreille ou l'hibiscus, franchement c'est mieux que le walkman à Châtelet-Les Halles, non ?

vendredi 8 mai 2009

Vous reprendrez bien un pack ?


Taniera, mon premier tatoueur, me donna, dans le flou et le désordre, des renseignements sur la symbolique des dessins et celle des emplacements. "A gauche, c'est féminin. A droite, masculin". Ah bon ? "Moi si j'ai ma jambe droite entièrement tatouée c'est que mon père est mort lorsque j'étais tout petit et que j'ai perdu un de mes deux piliers. " Si je voulais un tatouage à la base de mon pouce droit, c'est que j'avais envie de gifler un de mes fils. Euh, non ! Après cette séance qu'il avait l'air de vouloir poursuivre en tête-à-tête, je partis à la recherche d'un autre artiste du tatau. On m'avait parlé d'une brochette d'artistes célèbres dans le monde entier : Chimé, Roonui et Purotu. Les deux premiers étant installés l'un en France et l'autre au Canada, je me mis en tête de dénicher Purotu. Je me rendis donc au "cabinet" qu'il partageait avec deux de ses frères où je fus accueillie par un être échevelé à la tignasse de rasta, une bouteille de bière Hinano à la main, un ou deux packs dans l'estomac et je-ne-sais-quelle substance peu licite qui lui fusillait tous les circuits. Fébrile et incapable de parler, il me montra la photo de son frère sur l'écran de son ordinateur. A côté de lui, vaguement plus éveillé, le même en version schtroumpf m'expliqua que le seul capable de répondre à mes questions était bien le grand Purotu, actuellement rentré à la maison... Le reste du séjour s'est passé ainsi : j'apparaissais sur le seuil de leur cahute et je voyais trois ou quatre vieux enfants pris la main dans le sac, aux deux tiers ivres et dissimulant sans doute dans leur dos un pétard gros comme un fagot. A chaque fois, ils me souriaient de leurs bouches édentées et s'excusaient parce que Purotu m'avait attendue ce matin mais là, il était retourné à la maison ! Je me demande encore avec quel dessin sont repartis les malheureux touristes venus se faire tatouer une raie sur l'épaule.

mercredi 6 mai 2009

Mon beau tatoué


Une des recherches les plus absurdes, et les moins productives, de mon reportage à Moorea, a été la course aux tatoueurs. Comme je l'avais lu et comme on me l'a confirmé sur place, le tatouage fait partie des revendications identitaires fortes des Polynésiens, avec la pratique de la langue reo ma'ohi et de la danse. Surtout dans des îles soumises à la règle française de la centralisation et du nivellement par Nos ancêtres les Gaulois, après le passage des missionnaires protestants qui les avaient dissimulés sous des housses en tissu de rideau pour oublier toute lascivité condamnable ! Donc je voulais rencontrer quelques uns de ceux qui ont refait de l'île un haut lieu du tatouage et qu'ils m'en parlent. Tout a commencé par Taniera, sorte de grande araignée volubile et confuse, qui passait des considérations les plus enfumées (et je pèse mes mots) à des fulgurances que j'attrapais au vol et notais en vrac sur mon cahier. Ce qui l'intéressait surtout était de savoir si j'aimerais me faire tatouer et où, car l'emplacement est important. Ayant cette idée en horreur mais comme il avait lui-même un tatouage à la base du pouce gauche, je prétendais être tentée par la base du pouce droit (nous étions en face l'un de l'autre). Après m'avoir entraînée à l'écart, il me raconta alors l'histoire de sa mère, morte dans son sommeil alors qu'il dormait contre elle et de cette douleur infinie qui l'avait saisi à cet endroit précis, là où elle lui tenait toujours la main, au moment précis où elle s'était éteinte. Ce qu'il ne réalisa que plus tard. Et ce tatouage qu'il avait transformé au fil des années pour le rendre plus banal, lui rappelait qu'il n'allait jamais sur sa tombe. "On me dit "elle est jolie ta raie" et je pense que je ne vais jamais la voir".