mardi 27 janvier 2009

Sérénissime, ma non troppo.


Comme prévu, l'exercice est difficile. Je mets une pincée de Maupassant, un rien de Goethe, un soupçon des Goncourt, sur une grande portion de Casanova. Je porte à ébullition en écumant ce Morand qui fait gerber, relève d'un nuage roux et voluptueux de Titien. Les épaules blanches de Venise triomphante se dissimulent dans les replis d'un châle Fortuny et James Whistler arpente campielli et back alleys pour trouver la Venezia Minore, celle des Vénitiens. J'ai parcouru aussi Castello et Canareggio, S. Polo et S. Croce, Dorsoduro, sans pastel ni aquarelle dans mes poches mais avec des guides et des plans. Je me suis perdue dans les reflets des palazzi, brouillés par la pluie, confisqués par la brume. J'ai marché sans fin d'une rive à l'autre, d'un canal à un rio, me cognant au vide de ce labyrinthe dont les culs-de-sac se terminent dans l'eau verte. J'ai emprunté des venelles à peine plus larges que ma carrure et découvert des jardins échevelés derrière des murs à demi-écroulés. Mais maintenant, je suis devant mon bureau où s'empilent livres d'art et guides, je passe de Sargent à Turner, de Tiepolo à Duveneck, de Corto Maltese à Rilke, avec un éclectisme qui montre bien l'ampleur de mon désarroi, non pas devant la supposée "page blanche" mais devant l'overdose annoncée !

dimanche 25 janvier 2009

Fantasmes vénitiens


En fait, je crois que je vais écrire sur les écrivains. Sur tous ceux qui ont trempé leur plume à l'encre de leurs fantasmes, le plus répandu étant de loin les femmes de Venise, prostituées bien sûr, vérolées de préférence, au téton borgne pour Rousseau. Il en est peu qui résiste à cette tentation de la garce, de la pute, de la maquerelle majuscule, fille à matelots et courtisane dissimulée dans un domino de soie sombre, religieuse vaporeuse pour Casanova de carnaval. Certains ajoutent une pincée de fantasme plus intime mais pas obligatoirement plus sympathique : Ernest Hemingway nous met une louche de testostérone avec de viriles évocations des "gars de Torcello, des durs... qui faisaient du trafic d'armes d'Alexandrie"; Paul Morand assaisonne son Venise d'antisémitisme avec ce naturel qui fait mal et noie Venise sous une avalanche de beaux mots dont il s'enivre en solo. Mais la palme de l'humour involontaire revient sans doute à Marcel, notre fragile Proust avec son cache-nez et ses allergies, qui trouve à la place St Marc une vraie ressemblance avec la place de l'église à Illiers-Combray et cette ingénuité tient de la magie pure. Les Français ont le réputation de comparer les fjords aux calanques, en moins bien, le Kilimandjaro au Puy de Dôme et Cuzco à Alès, et voilà Proust qui se refait le coup de la petite madeleine avec le palais des Doges. Merci à lui ! Dans un autre genre, j'aime assez Montaigne, le paresseux, qui expédie Venise en une phrase : "Au demeurant, les raretés de cette ville sont assez connues". J'aimerais pouvoir l'imiter...

samedi 24 janvier 2009

T'as voulu voir Venise...


Je crois que je vais faire une petite cérémonie païenne pour conjurer ma crainte d'écrire sur Venise. Quelque chose qui me permette d'évacuer d'un coup mes réticences à passer après 5 milliards d'écrivains, mémorialistes et journalistes. Sans parler de ces peintres que j'adore et qui se sont perdus dans les venelles avec leur aquarelle ou leurs fusains. Qui ont su capter le geste d'une femme qui ramène son châle en passant un pont, le clapotis de l'eau verte contre les coques asymétriques des gondoles, la mousse s'accrochant à la brique des quais, la moisissure qui s'étire vers les fenêtres... Que dire après Whistler et Sargent ? Qu'écrire après Henry James ? Je me suis fait envoyer un livre magnifique sur ce cercle d'artistes venus redécouvrir Venise après ce qu'en avaient dit Byron et Ruskin. Impossible d'égaler ce que leur inspira leur enthousiasme pour une cité sortie de l'onde pour résister aux Barbares, pour la folie que supposait l'invention d'un empire maritime au cœur flottant au gré des marées, pour sa splendeur passée et sa décrépitude si parfaitement romantique. Même les épidémies de peste et l'air chargé de miasmes de ce fond de lagune sont prétexte à des lignes sublimes, et moi j'arrive. Je commence par faire des kilomètres le long des fondamente, des rii et des campi en quête du Venise des Vénitiens, loin de S. Marco même si les pigeons ont déserté enfin les lieux (merci au maire !) et si janvier n'est pas exactement la haute saison. Le café Florian s'est retiré derrière ses rideaux et beaucoup d'hôtels sont fermés. Je respire l'air marin de la Giudecca qui balaie le quai de Santa Eufemia, minuscule église baroque, blanche et dorée comme un salon, précieuse comme un boudoir féminin, plantée au milieu de chantiers navals où s'activent les derniers ouvriers de la ville. Il parait qu'Elton John possède un palazzo près du couvent des Zitelle et que Mitterand y avait aussi une de ces caches secrètes comme il les aimait. Mitterand qui ne supportait pas que les Vénitiens ne le reconnaissent pas et enlevait sa casquette pour lire dans les yeux la crainte et le respect qu'il pensait mériter.
Je regarde donc une sorte de foire du Trône minable se monter sur la riva degli Schiavoni, là où se déchargeaient les navires venus de Chine, chargés de ballots de soie et de coffres d'épices. Une chenille géante en est aujourd'hui l'attraction principale mais je ne me sens pas l'arrogance d'écrire que Venise a perdu son âme comme certains confrères l'ont fait, ivres de la conviction d'avoir trouvé le truc pour sortir du lot des admirateurs béats. "Marre de Venise et de la polenta, de ses sempiternels palazzi suintant d'humidité où ne vivent plus que de vieilles comtesses rancies, dont les cheveux, trop grillés au soleil des altane les font ressembler à des sorcières de Goya...etc." Et alors ? Le choc reste intact devant ces voies d'eau, devant la vie amphibie des Vénitiens, comme le Lion de S. Marco, une patte sur la terre et l'autre dans la mer.

jeudi 15 janvier 2009

Bonjour chez vous !


L'incarnation du refus du formatage est mort : Patrick McGoohan, le concepteur de la série Le Prisonnier a finalement été rattrapé par le Rôdeur, cette espèce de ballon de baudruche blanc qui errait dans les ruelles de Portmeirion comme un air-bag mortel, un jouet d'enfant cruel. Il se plaquait au visage des apprentis évadés et les étouffait plus ou moins, on ne sait pas trop, car rien n'était jamais certain au Village. Il filait sur une musique menaçante, rebondissant, comme tout ballon sur une plage, et, implacablement, immobilisait le téméraire. On a tous regardé, sans toujours les comprendre, ces épisodes dans la ligne d'Orwell ou Huxley, qui distillaient l'inquiétude d'un monde annonçant le nôtre. Dans son costume Mary Quant, ou Courrèges, il forçait l'entrée du bureau de commandement où l'attendait toujours dans ce fameux siège-œuf typique des années 60, le dernier N°2, poli et déterminé à le faire plier. Nous, on savait que personne ne soumettrait jamais N°6, concentré de rage et de défi dont nous enviions la vitalité de Phœnix. Il avait quelque chose d'un écureuil dans une roue, toujours furieux, toujours révolté, toujours en fuite et toujours repris. A la fin de chaque épisode, les grilles claquaient sur l'écran. On n'a jamais rien fait de plus britannique que Le Prisonnier, sauf Chapeau Melon et Bottes de Cuir sans doute. Un lecteur du Monde.fr regrette qu'il n'y ait eu aucun humour dans les aventures de N°6 et là, je m'interroge : inventer un univers où tout le monde fait tourner des parapluies multicolores sur une petite fanfare nulle n'est pas de l'humour ? Imaginer des épisodes où l'intrigue tourne autour de la phrase hautement significative : "Pâtissier Malin, Pâtissier Malin, quand donc me referas-tu de bons gâteaux ?"n'en est pas non plus ? Et les combats d'art martial sur trampoline ? Chaque épisode avait sa dose d'absurde et de dérision, comme celui-ci où Patrick McGoohan écoute Bizet en boucle d'un air pénétré, puisque cette série était aussi d'un élitisme assumé. Britannique aussi.

mardi 13 janvier 2009

Pourquoi moi ?


Donc, interrogation métaphysique sur les causes de cette crise de foie : serait-ce parce qu'en sortant d'un cours de yoga, je n'ai rien trouvé de mieux que de me nourrir exclusivement de gâteau au chocolat et de quatre-quart (non, il n'y avait plus de tarte aux herbes à la cantine) ? Ou parce que le yoga m'a rappelé des heures sombres, quand un psy m'avait expliqué que mon psychè ressemblait à une sorte de hangar ouvert à tous les vents où voletaient papiers gras et oiseaux (de mauvais augure of course), un décor à la John Woo avec des bruits d'ailes et de bourrasque. Bref, girl, il faut vous recentrer et pour ça, c'est la prière ou le yoga. Je n'étais pas d'humeur priante et, entre la position à genoux et celle du lotus, j'optai pour l'exotisme. Normal. Cela a duré un an environ. Une année que je ne souhaite pas revivre mais dont le yoga a été l'élément positif. J'ai appris tant bien que mal à me concentrer, à flinguer tous les corbeaux et corneilles qui passaient par mon crâne, à fermer quelques écoutilles (j'adore les métaphore qui filent de travers) et je me suis essayée à méditer. Malheureusement, ma vie quotidienne n'était pas compatible avec ma nouvelle pratique et, un jour que je faisais face à l'océan, le front enfin serein et les paumes vers le ciel, dans une tentative de me fondre dans le grand tout, une voix m'apostropha, qui n'était pas celle de Siddhartha : "Alors ? On médite ?" Plonk ! Avec un fracas de plaque d'égout qui tombe sur le macadam, j'atterrissai. Plutôt je m'écrasai au sol. OK, j'étais sur une plage de sable fin et cela ne fait pas ce bruit-là mais moralement c'était ça. Pulvérisé l'envol ! Fin de l'aventure. Il faut dire aussi que j'avais commencé une psychanalyse formidable et que je ne pouvais tout faire...
Bref, quelques années plus tard, je me rends pour la première fois de ma vie, en Inde, sur les contreforts de l'Himalaya pour un séjour dans un spa ayurvédique. Le bonheur pur dans un site magnifique. Il n'était pas question de faire une véritable cure mais le peu que nous (il s'agissait d'un voyage de presse) testions était fascinant. Pour nous gâter, le directeur du spa, un Britannique déjanté à la John Cleese, avait fait venir un grand gourou (avec Winnie l'Ourson, il y en a un aussi, et un petit, je crois, mais ce n'est pas le même), un grand mec pâle, plus ou moins Californien mâtiné de Letton, enfin, je n'en sais rien, qui glosait à l'infini sur l'avance impossible à rattrapper qu'il avait sur nous, pauvres blattes de journalistes accrochées aux biens de ce monde comme un bousier à sa bouse. Cela commençait rugueux pour nos egos mais pourquoi pas s'il était vraiment assis à la droite du Grand Véhicule ? Il faisait un temps divin, la chaîne himalayenne était à portée de regard et j'étais prête à tout. Non, pas tout ! Drapé de blanc, il allait de groupe en groupe, penchant sa haute stature vers certaines, chuchotant de mystérieuses injonctions qui déclenchaient de petites extases à la Thérèse d'Avila. Mon tour arriva et il me glissa que lorsqu'on avait une tronche pleine de purée, et encore, une purée avec des grumeaux, il valait mieux oublier le yoga et toute spiritualité. Plonk ! Crash de Sainte Thérèse qui se retrouve au sol, l'air stupide dans son kurta pajama blanc. Bannie de la cour des purs (comme Jonathan Livingston, le goéland). Jetée du Grand Véhicule en pleine vitesse. Du coup, pour oublier cette humiliation, je mets la photo d'une fille qui fait un truc incroyable avec ses jambes, pour laisser planer le doute que, moi aussi, je peux le faire...

lundi 12 janvier 2009

Malade

Malade ! Rien de bien fascinant, juste ce que l'on appelait autrefois, et à tort, parait-il, avoir "mal au foie". D'accord, le foie n'a pas mal et cela fait rire la terre entière, sauf les Wallons sans doute, les seuls à nous accompagner dans nos enfantillages. Aujourd'hui, on dit "j'ai une gastro" et depuis ce matin, on me demande si je suis sûre que ce n'est pas une gastro. Oui, je suis sûre dans la mesure où j'ai vu sur Google que cela se caractérisait par de violentes diarrhées. Ce qui m'amuse car cette terminologie, de type scientifique, permet à tout un chacun de parler de ses glissantes et autres courantes, à des gens que ce genre de confidence n'intéresse pas obligatoirement. On ne dit pas non plus "gastro-entérite", trop solennel, juste "gastro", c'est cool. On devrait dire "j'ai la chiasse", on ferait moins les fiers. Tout ça pour expliquer que je suis en vrac, l'estomac d'abord et le dos ensuite à force de chercher la moins mauvaise position pour ces vagues nauséeuses. J'ai cherché le pourquoi de cette crise (non, pas de foie) avec toute l'obsessivité de quelqu'un de coincé au lit sans être assez en forme pour regarder des DVD idiots et je suis arrivée à la question habituelle : psycho-chose ou physique ? La suite quand j'irai mieux, c'est l'heure du bouillon de légume.

vendredi 2 janvier 2009

2009


La vie reprend doucement. Ce matin, douze minutes d'attente sur le quai du RER. Des familles de touristes avec enfants sont déjà dehors, dans le matin glacé, se demandant ce qu'il y a à faire dans une ville qui digère ses monstrueuses agapes, au chaud sous la couette. Un père qui , visiblement, a son fils pour la journée, minute l'emploi du temps pour se rassurer : "alors il est 10h 43, une heure de jeu, puis on retrouve tante Carole, on déjeune avec elle et ensuite, je te laisse..." Un couple d'homosexuels se parle à voix basse dans le fracas des roues. Comment je sais que c'est un couple et pas juste deux copains ? Ce que l'on appelle délicatement, leur espace interpersonnel, celui que déterminent la latitude et l'intimité. Leurs têtes se penchent l'une vers l'autre, s'effleurent presque, alors que ce sont des Nordiques, Allemands ou Scandinaves, c'est à dire pas exactement les rois du collé-serré. Bon, les lunettes de l'un, à la Viktor & Rolf, est une bonne indication aussi, ainsi que leur ressemblance. Leur teint de roux pâle, la même carrure athlétique et la même taille de barbe. Certains couples hétéros finissent aussi par se ressembler. Au changement aux Halles, trois Africaines au front ceint de foulards islamiques, trois chacune pour être sûres que l'on n'aperçoive pas un seul cheveu dans un baillement d'étoffe. Cela m'agace prodigieusement car je me dis qu'il y a deux ou trois ans, elles étaient peut-être comme cette gamine moulée dans un jean stretch violet vif, trop ronde selon nos canons modeux, mais heureuse de vivre sans aucun doute. Deux femmes se parlent avec gêne, elles se ressemblent, c'est la mère et la fille, à la recherche d'une conversation neutre qui ne soit pas affligeante de banalité quand même. Non, pas la météo, pitié ! Arrivée boulevard Haussmann, un début de foule est là, autour des grands magasins. C'est peut-être le jour des échanges des cadeaux ratés, des mauvaises tailles de pull ou des disques que l'on a déjà. Pour ce que l'on déteste, il parait que tout est déjà sur E-bay, ce que je trouve sordide. Le côté pratique même de la chose me contrarie : les relations amoureuses, familiales et sociales ne sont pas pratiques, elles sont complexes, faites de ces riens impalpables, de ce funambulisme permanent sur fil d'araignée qui fait la différence entre les brutes épaisses et les autres. Il ne s'agit pas d'éviter à coup sûr frictions et gaffes mais d'essayer. De faire de son mieux. Et parfois, on y parvient : la maille d'invisible soie se tricote alors avec grâce et nous fait chaud.