vendredi 15 août 2008

Le 6 août 2008

Dans une de ses Chroniques martiennes, Ray Bradbury décrit un monde futur et totalitaire comme il se doit, dont le gouvernement a mis au point une technique d’abrutissement des foules d’une efficacité absolue : chaque citoyen a une puce implantée dans le cerveau chargée de détecter toute velléité de penser. Au moindre frémissement de l’intellect, un son inattendu se déclenche, sonnerie de téléphone, pleur d’enfant, train qui arrive en gare, grincement de craie sur un tableau, qui stoppe l’idée dans l’œuf. Il m’est arrivée de penser que les enfants avaient été inventés pour rendre leur mère, ou leur père quand c’est lui qui s’en occupe, complètement décérébrée avec leur inextinguible soif d’attention, leurs questions, leurs colères, leurs chagrins qui composent une guirlande infinie de bruits rendant impossible toute concentration. Je me souviens m’être mise à peindre à l’aquarelle des bouquets sans autre intérêt que celui de me permettre de faire le vide de toute interférence. De m’abstraire de tout micro-drame. Plus tard, j’ai rencontré Fabienne Verdier, peintre devenue célèbre depuis, qui m’a raconté comment, lors de ses années d’étude de la peinture au Sechuan, les autorités chinoises diffusaient, en permanence, du Richard Clayderman, aussi bien dans les salles de cours que sur les quais de gare, pour empêcher tout début de conversation et d’élaboration de pensée. Ce que j’ai pu vérifier en me rendant en Chine par la suite ainsi qu’au Vietnam où le même Clayderman a été choisi pour rendre idiots les touristes se rendant à Hoi An tant il est flagrant que ces roucoulades pianistiques sont de nature à décérébrer les plus aguerris. Mais le plus troublant est que ce type d’abrutissement des foules n’est pas réservé aux régimes totalitaires. Déjà, en 1955, dans son livre Gift from the Sea, Anne Lindbergh explique comment la femme américaine se prive de son « daydreaming », finalement assez créatif, en consommant d’ineptes soap operas et aujourd’hui que dire de nos musiques d’ascenseur, de grandes surfaces, de parkings, de nos animations de rue avec diffusion continuelle de musique invertébrée ? Que dire de la pub qui passe en boucle ? Qui envahit aussi bien notre espace auditif que notre espace visuel en colonisant les carrosseries de bus, le « mobilier urbain » et la télévision ? Que dire de ce bruit incessant , de ces écrans aux couleurs criardes ? Le plus extraordinaire est que la plupart en redemande et se connecte à une source personnelle de sons, sans en être prié, comme si l’espace offert par le silence faisait peur. Comme si la possibilité de nous servir de ce qui fait notre supériorité sur l’animal représentait un danger. La liberté fait-elle si peur, comme l’a écrit Erich Fromm, que nous choisissions n’importe quel maître, même le plus insignifiant marchand de lessive –retour sur le soap opera-, pourvu que nous puissions oublier notre solitude intrinsèque ?

3 commentaires:

Cécile a dit…

La découverte de cette citation n'est pas de moi, mais elle tombe à point...
You are free and that is why you are lost.
(Franz Kafka)

pépette a dit…

choubidoowawachoubidoowawa
ouf moins de silence

Anonyme a dit…

Pour celui qui est très seul, le bruit est déjà une consolation.
[Friedrich Nietzsche]