dimanche 29 juin 2008

A Clé


Un jour, j’ai été invitée à diner dans le triplex somptueux, avec vue sur Central park, d’une intellectuelle Africaine-Américaine. Ou Afro-Américaine. Ou Black. Noire quoi et pas Negroe que seuls les Negroes ont droit d’employer. Enfin, peut-être pas, je ne sais plus. Bref, diner extravagant où j’ai fait Sidney Poitier dans Devine qui vient diner ? Au téléphone, la maitresse de maison n’avait pu discerner ma blanchitude (blancheur fait un peu pub de lessive), d’autant que j’étais envoyée par des Africains-Américains ou etc… complètement dégénérés certes, puisque francisés. Il y a eu le pincement incrédule des autres convives, les regards consternés, mais, bonne éducation aidant, chacun s’est présenté. Il y avait là une poétesse nobélisable, un auteur de pièces de théâtre, une poignée de ce qui se fait de plus chic, et friqué, à Manhattan. Bizarrement pour moi, ils se passaient en boucle un film avec Prince qui, ce soir-là, suspendu entre ciel et terre dans cette bulle élitiste, était ce qui se faisait de plus raccord avec le chic ambiant. N’ayant rien à dire sur le chanteur dont je ne connaissais qu’un surnom qui m’avait fait rire, « le nain mauve de Minneapolis », je résistais à la tentation de le faire partager à mes hôtes qui discutaient de la portée politique de son message. Je parvenais à la fin de l’apéritif sans gaffe majeure, la majorité des invités étant d’une politesse glacée mais scrupuleuse. C’est à table que je reçus la première flèche. Enfin « flèche », je ne me permettrai pas de supposer que les … Noirs (Mon Dieu qui êtes sans doute noir, pardonnez mon offense que seule mon manque d’imagination explique) ne connaissent que les flèches. Non, non, ils ont aussi les balles dum-dum, le taser et, dans ce cas précis, quelque chose de violent comme l’épée à deux mains que l’on abat à la verticale, du sommet du crâne à l’estomac, et plus si affinités. Donc, ils parlaient d’Afrique, le best-seller Roots avait transformé tout Noir (Black ?) américain en mandingue, et, dans un moment d’arrogance bien blanche, caucasienne même, je me hasardai à dire que je connaissais assez bien ce continent. Pas très bien, non, assez. Enfin, un peu. Plusieurs pays d’est en ouest où j’avais parfois résidé. Micro-banderille de l’auteur dramatique, histoire de se mettre en jambe : « connaître, vraiment ? Et comment est-ce possible ? » Réponse noncommital, voire faux-cul, genre : « Vous avez raison, comment peut-on connaître ? » en évitant toute inflexion qui aurait pu sembler ironique. A partir de là, ils me sont tous tombés dessus pour la raison simple qu’un(e) Blanc(he) n’a aucun droit de parler d’Afrique et que seuls les Africains-Américains peuvent le faire. Je mis un moment à comprendre ce que ces gens d’un chic asphyxiant me disaient, perchés au sommet d’un des immeubles les plus convoités du monde. Le communautarisme en était à ses balbutiements et n’existait pas du tout dans les milieux que je fréquentais. La suite est sans intérêt, je fus prise d’indignation, oubliant politesse et correctitude politique. Je décrivis avec un rien de sadisme ce que j’avais vu ici et là et qui était aussi loin du petit lopin en Alabama de leurs grands-parents que l’était mon micro appartement sur cour à Paris de ce triplex . C’est alors que le dramaturge se mit à rire comme un fou et qu’un à un, les autres se joignirent à son hilarité, me tapant dans le dos comme si s’achevait une gigantesque blague. Pour sceller cette entente inattendue, ils me firent la confidence que Bill Clinton était noir, ce que j’acceptai parfaitement, habituée aux subtilités de mon amie Clé qui m’avait déclaré, il y avait déjà longtemps, que Louis Pauwells qui refusait tout visage noir dans les pages de ses magazines, avait laissé passer des couvs avec des mannequins noires. « Arrête Clé ! Dis pas de conneries ! » Et elle m’avait initiée au concept américain de noir blanc, reconnaissable à l’œil averti. Ouf, Barack est un Noir noir, c'est déjà plus facile !

3 commentaires:

Cécile a dit…
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Cécile a dit…

A force de rêver de contrées lointaines (et dorées) (et outre-atlantiques) j'en oublie qu'elles ont elles aussi une réalité... à savoir, elles aussi ont leurs snobs et leurs lubies (et leurs Daniel Rondeau? peut-être noirs) :)

Anonyme a dit…

BON DEPART